Je décide d'aller voir de plus près deux immeubles dans le quartier situé au-dessus du Cercle Civil (face au Port). Je poursuis ainsi ma découverte du Pointe-Noire "moderne".
Le premier à dominante blanche comporte 11 étages. Il s'agit je crois de l'immeuble Abrassart (du nom de l'architecte ?). Honoré me dit qu'il est habité majoritairement par des libanais. Les véhicules garés au pied de l'immeuble révèlent l'aisance financière des résidents. Une pharmacie a pris place au rez-de-chaussée de l'immeuble.
Etrangement, un camion de lait (allemand ou suisse, marqué Hochwald, Karla Kuuhl) est stationné au pied de l'immeuble.
A gauche, une autre tour de 12 étages, à dominante jaune, est en cours de construction. Je remarque alors un "autre" photographe assis à l'ombre, avec un équipement de professionnel. J'engage la conversation. Il s'appelle Ulrich et me dit qu'il est l'un des photographes officiels de la République du Congo. Il m'explique qu'il réalise des clichés lors de la venue du Président, des ministres à Pointe-Noire, et également dans le cadre luxueux de l'Atlantic Hotel. Aujourd'hui, il prend des photos des travaux du nouvel immeuble, afin d'avoir des images "avant/ après".
Ulrich est très sympa. Il me dit avoir exposé ses photos (d'un tout autre genre, plus artistique que ces images de chantier !) en 2007 à Paris, le long du Quai Branly. Ulrich-Rodney Mahoungou a reçu en 2005 à Bamako le prix du meilleur jeune photographe de la francophonie. Je ne pensais pas rencontrer un artiste ici ! Je ne suis pour ma part qu'un modeste amateur...
Nous discutons de l'interdiction, théoriquement toujours en vigueur, de prendre des photos au Congo. Je lui raconte ma mésaventure devant la gare de Pointe-Noire. Il me dit qu'il faut demander une autorisation auprès du ministère du Tourisme. Certains l'attendent encore...
Je souligne l'incongruité de l'interdiction pour un bâtiment construit par les français (on a sans doute encore les plans !) et la facilité d'obtenir désormais des informations par satellite.
Je salue mon "collègue" et file vers le nouveau quartier situé en contrebas.
Minute culturelle
Voilà le portrait du photographe, né en 1976 à Brazzaville, diffusé lors de l'exposition "Confrontation" à Paris :
Durant la période coloniale, le grand-père d'Ulrich-Rodney Mahoungou fut formé au métier de photographe par un journaliste du service de l'information de l'AEF (Afrique équatoriale française). C'est son père, également photographe, qui lui apprit le métier. Installé à Brazzaville comme photographe professionnel en 1995, Mahoungou commence, à ses heures perdues, à photographier les rues de Brazzaville, ses dépôts de ferrailles sous la lumière ardue africaine. Le Congo et la ville de Brazzaville ont connu pendant près de 10 ans des coups d'état et des guerres civiles jusqu'en 1998. À défendre les intérêts des politiques, les miliciens ont détruit maisons, véhicules, commerces, tué, enlevé, violé les civils. Les impacts des balles, les maisons et les immeubles effondrés sont toujours là pour témoigner. Mahoungou a photographié la ville alors en état de guerre civile, et les miliciens armés. Le plus souvent, dit-il, c'était à leur demande pour garder en mémoire leurs faits d'arme. Certaines brutalités photographiées lui ont valu plus tard des menaces et l'obligation de s'exiler.
Voilà deux clichés "soft" d'Ulrich pris pendant les années sombres (je vous épargne les horreurs de la guerre civile sur mon blog) :