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11 août 2014 1 11 /08 /août /2014 19:00

Il y a une expression populaire qui dit "Cela ne va pas durer 107 ans !". Eh bien si, pour le rapport Brazza, il aura fallu attendre 107 ans pour qu'il soit publié, et donc accessible au grand public. L'équivalent de 4 ou 5 générations...

J'ai eu connaissance de cette publication par hasard, en tombant sur un petit article paru dans Le Monde des Livres (supplément du quotidien) en mars 2014.

 

Le rapport de la "Commission d'enquête du Congo" n'avait été tiré par l'Imprimerie Nationale en 1907 qu'à 10 exemplaires. Avec la mention "Très confidentiel" ! Ce rapport n'avait même pas été porté à la connaissance des parlementaires de l'époque... Il était uniquement destiné aux Ministères.

 

couverture-rapport-brazza-1907

Couverture du "rapport Brazza" imprimé en 1907, numéro 10 (© CAOM)

 

On le croyait complètement disparu... Fort heureusement, un exemplaire a été retrouvé dans le Centre des Archives Nationales d'Outre-Mer, dans un fonds d'archives de l'ancienne AEF. Il s'agit du numéro 10. Au cours du siècle écoulé, il n'avait été consulté que par une poignée de personnes.

 

Après la mort de Brazza en 1905, une commission est nommée pour procéder à la rédaction du rapport. Elle est présidée par Jean-Marie de Lanessan. C'est un député Radical (alors élu de Lyon), ancien Gouverneur Général de l'Indochine et ancien Ministre de la Marine. Il est donc au parfum de la chose coloniale.

 

lanessan-portrait-commission-brazza

De Lanessan (1843-1919), Président de la Commision d'enquête (vers 1900 © Image Félix Potin)

 

A ses côtés, la "Commission Lanessan" est composée en 1905 d'un aréopage de hautes personnalités, toutes liées à la gestion des colonies : 

- Paul Beau, Gouverneur de l'Indochine (1902-1908)

- Louis-Gustave Binger, directeur des Affaires d'Afrique au Ministère des Colonies, ancien Gouverneur de la Côte d'Ivoire (1893-1898).

- Joseph Gallieni, Gouverneur général de Madagascar (1896-1905), général, qui sera fait maréchal à titre posthume après la Première Guerre Mondiale.

- Ernest Roume, Gouverneur général de l'AOF (1902-1908)

- Maurice Meray et Albert Picquié, inspecteurs généraux des colonies

- les secrétaires chargés de la rédaction étaient des membres du ministère des colonies, Albert Duchêne et Joost Vollenhoven (futur gouverneur général de l'AOF en 1917-1918)

 

Ils ont eu pour mission de synthétiser les rapports intermédiaires des membres de la mission d'enquête de Brazza, dont certains sont restés au Congo jusqu'en octobre 1905 pour finaliser leur travail. Il s'agissait notamment des rapports des inspecteurs Charles Hoarau-Desruisseaux, Henri Saurin et François-Xavier Loisy.

Les membres de la commission Lanessan devaient aussi "juger" l'un des leurs, Emile Gentil, suite aux révélations de Brazza (cf Rapport Brazza : la fuite volontaire dans la presse... ) et à différentes plaintes reçues quant à sa gestion de l'AEF. Difficile tâche...

 

 

En dépit des promesses d'Etienne Clémentel, Ministre des Colonies (janvier 1905 - mars 1906), interpellé à la Chambre des députés par Gustave Rouanet (soutenu par Jean Jaurès) et René le Hérissé, le rapport ne fut pas publié.


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Etienne Clémentel (1864-1936), Ministre des Colonies (vers 1900 © Image Félix Potin)

 

Son successeur, Raphaël Milliès-Lacroix, qui excerca dans la durée sa fonction au Ministère des Colonies (1906-1909) au sein du gouvernement Clémenceau, ne donnera pas suite à cette promesse lorsqu'en 1907 le rapport fut achevé.

Au delà du Ministère des Colonies qui préférait évidemment dissimuler les crimes et exactions, c'est le Ministère des Affaires Etrangères qui œuvra pour la non-publication du rapport. Le contexte international était à la dénonciation des crimes commis au Congo belge, et dans le cadre du renouvellement de la convention de Berlin qui avait fixé le partage d'une grande partie de l'Afrique entre nations européennes, vingt ans après la signature (1885), la France espérait secrètement pouvoir mettre la main sur cet immense et riche territoire.

A condition de ne pas être éclaboussée elle-même par un scandale de même nature que celui qui touchait Léopold II !! La décision finale fut donc d'enterrer le rapport...

Après quelques remous politiques en 1906-1907, personne ne parla plus du "rapport Brazza". Seul le journal L'Humanité se posait encore la question en 1909, à quand sa publication ?

 

 

C'est donc chose faite en 2014, grace notamment à l'universitaire Catherine Coquery-Vidrovitch.

Le rapport a été présenté de manière à être accessible aux lecteurs, avec une large préface, de nombreuses annotations et des documents annexes qui permettent de comprendre le contexte historique et politique. C'est bien sûr un peu austère (320 pages)... La couleur rouge brique rend le texte de la couverture peu lisible. Elle a été réhaussée d'un bandeau bleu, plus aguicheur, portant la mention "Le premier secret d'Etat de la Françafrique".

Le seul petit reproche que je ferais, c'est le manque d'illustrations, qui auraient pu aérer le texte de la préface. On ne trouve que quelques cartes, dont la carte des concessions (page 50) qui est de médiocre qualité.


Je recommande bien sûr pour les passionnés d'Histoire la lecture de l'ouvrage, qui est paru aux éditions "Le passager clandestin" sous le titre "Le rapport Brazza - Mission d'enquête du Congo : rapport et documents (1905-1907)".


Je reparlerai de certains éléments figurant dans ce rapport dans de prochains articles. 

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commentaires

B
<br /> passionnant ! cela faisait longtemps que je n'étais pas venue visiter votre blog, et, j'ai honte, j'ai vécu 4 ans à Pointe-Noire sans savoir vraiment les réalités  du passé colonial. C'est<br /> édifiant.<br />
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F
<br /> <br /> Merci à vous. Mieux vaut tard que jamais pour s'informer !<br /> <br /> <br /> Une chappe de plomb a souvent été mise sur ce passé colonial. Sa connaissance, limitée à un petit cercle de spécialistes, a besoin d'être partagée avec le plus grand nombre.<br /> <br /> <br /> NB : vous pouvez vous "abonner" pour être informée de la publication des articles, simplement en saisissant votre adresse mail dans la rubrique "Newsletter" de la page d'accueil du blog.<br /> <br /> <br /> <br />