C'est à un voyage musical insolite que le Festival "Détours de Babel" nous a invité dans une salle de spectacle de l'agglomération grenobloise, vendredi 11 avril.
Musique et chants de pygmées Aka, peuple réputé pour ses singulières polyphonies, se sont mélangés au son de la guitare de Camel Zekri. Les chants rythment traditionnellement la vie de tous les jours des pygmées (la chasse, un changement de campement...) et les étapes de la vie (funérailles...).
Le contexte est particulier puisqu'il viennnent d'un pays actuellement en proie à des violences et des combats meurtriers (La Centrafrique). Ils remplacent d'ailleurs au pied levé d'autres centrafricains qui n'ont pas pu se déplacer (ensemble de trompes Ongo-Brotto de Bambari, de l'ethnie Bandas... petit clin d'œil, peuple qui a participé autrefois à la construction du CFCO !).
Artistes pygmées Aka (Détours de Babel © Hexagone)
Les deux artistes Aka viennent de la vallée de la Lobaye, affluent du fleuve Oubangui, d'où le titre du spectacle. Cette région est frontalière de l'extrême nord du Congo, cette limite artificielle n'ayant pas grande signification pour un peuple nomade vivant dans la forêt équatoriale. Mais cette partie du Congo a vu affluer ces derniers mois des milliers de réfugiés centrafricains, qui se trouvent dans des conditions de vie très précaires. Les médias n'en parlent guère... Le sort réservé aux "autotochnes" du Congo n'est pas toujours très enviable (cf Les Pygmées au Congo ; Lékoumou : rencontre de "Pygmées" près de Bihoua ).
Lors de l'entrée en scène, le physique des pygmées tranche avec la haute stature du musicien d'origine algérienne. Bien entendu, là n'est pas l'essentiel. Le musicien a noué progressivement des liens étroits avec la population Aka, conduisant à la démarche artistique actuelle.
Pas d'artifices folkloriques, nos hommes sont habillés de sobres costumes 3 pièces et d'une chemise blanche (contrairement au cliché ci-dessus).
Le guitariste Camel Zekri (© RD)
Pendant 1h30, plusieurs tableaux musicaux se succèdent, sur fond d'images d'un séjour de Camel Zekri dans un village pygmée en 2000, mêlés d'effets de caméra "en direct".
Le quatrième acteur du spectacle est le danseur Congolais Orchy Nzaba (il a notamment participé au spectacle "Anatomies 2009 : comment toucher ?" au Centre Culturel Français de Brazzaville). Il s'intègre parfaitement au trio, en participant également aux chants et aux percussions (maracas africain).
Les deux personnes qui retiennent l'attention sont bien sûr Prosper Kota et Jean-Pierre Mongoa. Le premier chante et joue de percussions (tambour local), avec une très forte présence scénique. Le second joue de plus de la "harpe" (similaire à celle vue au Congo cf Art traditionnel : "harpe coudée" ). Sans comprendre les paroles, les chants vous portent vers des horizons lointains, aux sources de l'humanité...
Tout le monde entre à tour de rôle dans la "danse", certains pas évoquant la progression des chasseurs sur les sentiers de l'épaisse forêt équatoriale.
Le danseur Orchy Nzaba (© Congopage)
Certains spectateurs ont sans doute été un peu perturbés par le mélange de musique ethnique et de musique moderne, ainsi que par le "mur d'images" (une dame âgée a quitté la salle avant la fin...). Un épisode où la guitare s'est électrisée et où les tambours résonnaient fort, frisait le concert de hard rock !!
Mais le "rappel" (émouvante et lancinante chanson, dédiée à leur ami Jean, qui ne pouvait pas être de l'aventure) et le tonnerre d'applaudissements à la fin de la représentation montrent la satisfaction d'une très large majorité du public.
Les artistes étaient eux aussi émus et visiblement heureux de l'accueil qui leur était réservé. Beau moment d'évasion et de rencontre !
Le monde est quand même devenu petit. Les 6 000 km qui nous séparent de la Centrafrique et qui représentaient une distance extraordinaire, il n'y a pas si longtemps, n'est plus un obstacle (du moins, il est franchi assez rapidement avec l'argent nécessaire pour payer le voyage en avion...).
Pour faire état d'un certain optimiste, notons aussi que ces Hommes étaient exposés dans des "zoos humains", il y a moins d'un siècle (jusque dans les années 1930). Les Européens ont donc eux aussi évolué et posent désormais un autre regard sur ces cultures différentes, à la fois humainement si proches et si lointaines de nos vies quotidiennes.