Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 15:15

Si aujourd'hui le lieu parait bien calme, cette région du Kouilou a fait l'objet dès la fin du XIXème siècle d'une fréquentation coloniale non négligeable.

Une société concessionnaire, la CPKN (Compagnie Propriétaire Kouilou-Niari), avait notamment développé ses activités commerciales le long du fleuve Kouilou. Un bateau à vapeur permettait depuis l'embouchure (à Bas-Kouilou) de remonter le cours d'eau jusqu'à Kakamoéka.

Outre le commerce et les activités agricoles, les chercheurs d'or n'étaient pas en reste dans les environs de Kakamoéka, ceci jusqu'aux années 1950-60.

 

kouilou vapeur-mandji

Vapeur "Mandji" sur le Kouilou à Kakamoéka (carte postale vers 1900 © Audema)

 

Après ce village de Kakamoéka, il devient bien difficile de naviguer et de franchir à contre-courant les rapides de Sounda. Un service de navigation fut mis en place dès 1894 par Le Chatelier, mais il nécessitait un transit par porteurs de Zilengoma à Mandji. Seuls des bateaux de 2 tonnes maximum, avec de nombreux pagayeurs, permettaient d'assurer un service régulier au delà des gorges.

C'est après celles-ci que le fleuve change de nom, et passe de Kouilou à... Niari. Bizarrement sur certaines cartes de la fin du XIXème siècle, c'est l'inverse ! On trouve couramment le terme de "Kousounda" ou "Koussounda" dans les documents anciens pour désigner le lieu.

 

koussounda-kouilou-niari

La "Roche coupée" près de Kousounda (carte postale vers 1900 © Marichelle, Loango)

 

Plusieurs projets, notamment celui de l'ingénieur Léon Jacob, avaient prévu d'utiliser cette voie "navigable" et de la combiner ensuite à une voie ferrée pour rejoindre Brazzaville.

La première volonté de construire un barrage vint ainsi avec la perspective de noyer les rochers pour faciliter la navigation sur le Kouilou ! C'est le Capitaine Pleigneur qui en 1887 lança cette idée. Il étudia si bien le cours inférieur du fleuve, en soulignant ses difficultés... qu'il s'y noya !

Léon Jacob, après des relevés topographiques, avait confirmé la faisabilité, affirmant qu'il était possible de noyer la plupart des rapides empêchant la navigation, en barrant "la gorge de Koussounda". Il envisageait même si besoin de déblayer les rochers du cours du fleuve...

Mais le projet fut abandonné au profit d'une liaison entièrement ferroviaire entre l'océan et la ville fondée par Savorgnan de Brazza (notamment suite aux recommandations de la Mission Bel en 1906-1907).

  

sounda mandji-kouilou

Vue sur le fleuve Kouilou à Mandji (carte postale vers 1900 © Audema)

 

Ensuite, c'est un projet de barrage hydroélectrique qui vit le jour. Il fut initié à la fin de la colonisation française. C'est l'Assemblée Territoriale du Moyen-Congo qui en vota les premiers crédits en 1958. Les projets d'exploitation des ressources du Congo étaient alors en plein essor.

 

Sounda-carte-barrage

NIARI (CONGO) -  Carte de situation - Economie - Localisation de Sounda (1965 - IRD ©)

 

Un vaste complexe devait naître (usines, aéroport, routes...) autour du barrage, ce dernier fournissant l'électricité nécessaire à l'exploitation des minéraux (aluminium, fer, quartz, magnésium...) et autres engrais (nitrates, phosphates, phosphore). Un financement mixte public-privé était prévu et les travaux devaient durer de 5 à 8 ans.

On imaginait déjà des milliers d'emplois et le développement de la région du Kouilou.

 

sounda-vue-aerienne-vennetier

Vue aérienne des gorges de Sounda (1966 © Vennetier)    

 

On comprend encore mieux l'intérêt du site naturel en prenant de la hauteur. La partie étroite, située juste avant le bassin d'expansion du fleuve, permettrait d'y construire un barrage en voûte, pouvant s'appuyer solidement sur la masse rocheuse des collines. 

Mais cela noierait toute la vallée en amont, sur une distance plus ou moins grande bien sûr, en fonction de la hauteur du barrage. On a fait la même chose dans les Alpes, mais on a oublié depuis le massacre du paysage et les villages disparus sous les eaux...


Sur cette photo "historique", Fulbert Youlou (reconnaissable à sa soutane et à son collier présidentiel) est accompagné du leader sécessionniste katangais, Moïse Tshombé. Pied de nez au voisin de l'autre côté du fleuve Congo... Assistant à la cérémonie officielle de lancement des travaux de construction du barrage de Sounda, on identifie aussi Michel-Maurice Bokanowski (représentant la France, sans doute alors en tant que Ministre de l'Industrie), Stéphane Tchitchelle (maire de Pointe-Noire et vice-président du Congo) et M. Bicoumat, ministre des Travaux Publics (l'homme à la cravate rayée à gauche).

  

 Sounda Fulbert Youlou pont-kouilou

Inauguration officielle du lancement des travaux du barrage (1962 ? © Victor Sathoud)

 

Le pont était alors tout neuf, on reconnaît son armature métallique, peinte en blanc semble t-il. Les militaires (gendarmes ?) présentent les armes au passage des autorités.

Autre aménagement, en plus du pont, on a creusé un canal de dérivation de 14 mètres de diamètre et 600 mètres de long (que j'ai imaginé en "conduite forcée" alimentant des turbines...) dans la perspective de détourner le cours du Kouilou, facilitant ainsi la construction de la digue barrant les gorges. Un projet de 1962 élaboré par EDF envisageait un barrage haut de... 125 m !! La vallée serait alors fortement noyée jusqu'à Makabana, avec une retenue d'eau globale d'une superficie de 1 800 km2.


Le Président Youlou, qui voulait faire de ce projet d'envergure le fer de lance de sa politique économique, entreprit de nombreux voyages à l'étranger pour trouver des investisseurs. Mais chassé du pouvoir en 1963, l'Abbé Youlou ne pourra pas poursuivre le projet initié concrètement sous sa présidence. A intervalles réguliers, chaque président congolais (ou presque) a tenté de faire aboutir la construction du barrage, mais sans succès depuis plus de 50 ans. On en parle encore en 2012, en mettant sur les rangs... les Chinois ! Après avoir vaincu le Mayombe lors du chantier de la Route Nationale 1 (enfin avec l'emploi de milliers d'ouvriers congolais...), terrasseront-ils le fleuve Kouilou ?

J'espère que le nouveau projet de barrage sera écologiquement plus responsable et moins pharaonique que le projet de 1962.


Sounda-gorges-1

Gorges de Sounda vues de la route de Kakamoéka vers 1950 (© Françoise)

 

En tout cas, profitez si vous le pouvez du paysage magnifique des gorges de Sounda, avant que l'Homme ne le marque irrémédiablement de son empreinte... En dehors du pont et du canal souterrain, le site est encore aujourd'hui presque intact.

 

 

Sources principales : 

Dictionnaire Général du Congo Brazzaville - Philippe Moukoko

http://www.congopage.com/Electrification-du-Congo-la

Notes sur la construction du chemin de fer Congo-Océan (1921-1934) - Gilles Sautter

Partager cet article
Repost0
16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 13:15

Le terme de "Pygmée", attribué par les européens aux Noirs de petite taille (c'est un mot d'origine grecque signifiant "haut d'une coudée") a pris au fil du temps une connotation péjorative, voire pour certains constitue une insulte. Bien sûr, les populations concernées, à l'origine, ne se nommaient pas ainsi.

En Afrique centrale, de multiples ethnies subsistent principalement dans les deux Congos, au Gabon, au Cameroun et en République Centrafricaine. Au Congo, on peut croiser deux grands groupes, des Babinga (nord du pays) et des Babongo (sud du pays). D'autres les nomment "Akas", petit peuple de la forêt. Il y a de multiples sous-groupes ethniques, je laisse aux spécialistes le soin d'en parler. Ce sont à l'origine des peuples de chasseurs-cueilleurs nomades, adaptés à la vie en forêt. Certains émettent l'hypothèse que leur petite taille (1,40 à 1,50 m à l'âge adulte) est liée à une adaptation à leur environnement.

 

pygmées-groupe-moyen-congo

Groupe de "Pygmées" avec un colon - Congo - Oubangui (carte postale vers 1950)


Cette minorité ethnique a été opprimée et exploitée depuis longtemps par les Bantous, les "grands Noirs". Profitant de leur supériorité physique et de leur avance technique, les Pygmées étaient soumis à des corvées, voire devenaient de véritables esclaves, en tant que "propriété" de leur "maître" Bantou. Ces pratiques n'ont malheureusement pas complètement disparu. Les relations avec les Bantous demeurent fortement inégalitaires, ceux-ci étant propriétaires des terrains et des animaux.

  

pygmées-ouesso-chasseurs-congo

Chasseurs "pygmées" de la région de Ouesso - Congo (carte postale vers 1950)

 

Au Congo, les Pygmées ne représentent qu'environ 1% de la population, soit seulement de l'ordre de 40 000 individus dispersés sur tout le territoire.

Nombre de pygmées seraient sédentaires en saison des pluies dans le type d'habitation vu à Bihoua (cf Lékoumou : rencontre de "Pygmées" près de Bihoua), et nomades pendant la saison sèche, habitant alors en forêt dans une hutte végétale en forme d'igloo.

Mais la sédentarisation est de plus en plus permanente, conséquence de la cohabitation avec les villageois Bantous, conjuguée avec la disparition progressive de leur culture et de l'habitat traditionnel forestier (victime de l'exploitation des ressources naturelles).

 

pygmees-congo-hutte

Enfant pygmée du Congo devant une hutte (AFP © Desirey Minkoh)


Après l'Administration Coloniale, ce sont les autorités de la République du Congo qui dès les années 1960 ont favorisé la sédentarisation et l'installation des Pygmées à côté des villages Bantous. Une ségrégation a lieu car souvent une bande non habitée les sépare, à l'entrée ou à la sortie des villages.

Dans la Lékoumou, qui abrite environ 30% des Pygmées du Congo, on dénombre ainsi une cinquantaine de villages où les deux populations cohabitent. Les Babongo de la région de Sibiti parlent différentes langues, y compris des langues Bantous qu'ils ont assimilé.
En moyenne, les trois-quarts d'entre-eux ne sont jamais allés à l'école. Ils sont principalement employés par les Bantous comme main d'oeuvre dans les travaux agricoles et forestiers, dans le meilleur des cas pour un maigre salaire de 250 à 500 FCFA par jour (environ 50 centimes à 1 Euro). Quand ce n'est pas pour un litre de vin de palme...
Une loi pour protéger les Pygmées, élaboré en 2004 par le gouvernement congolais, a été seulement promulguée en 2011. Changement de terminologie, on parle désormais de "peuples autochtones". Mais la perte d'identité associée à l'alcoolisme est en progression rapide, conduisant à la possible extinction de ses peuples et leurs cultures. L'ONU tire la sonnette d'alarme, mais l'application sur le terrain des protections prévues par la loi est loin d'être évidente. Les "autochtones" eux-mêmes sont pris dans un cruel dilemme entre le mode de vie traditionnel et les attraits de la modernité.


Sources principales : 
La sédentarisation des pygmées et son impact sur leur développement dans les villages communautaires au Congo : Cas du district de Sibiti. Benoît Libali- 2001
Dictionnaire Général du Congo Brazzaville - Philippe Moukoko - 2000
RFI.fr 

Partager cet article
Repost0