Après la période d'acclimatation en "savane" à Pointe-Noire (cf http://voyage-congo.over-blog.com/2015/07/congo-ocean-camp-chinois-pointe-noire.html), les ouvriers Chinois arrivés en juillet 1929 à Pointe-Noire furent envoyés dans le Mayombe. C'était leur vocation, le but de leur venue était de concourir à la construction de la voie ferrée, sur le tronçon qui posait le plus de difficultés, celui de la traversée du massif forestier.
Ainsi un "camp Chinois" fut établi dans le Mayombe au km 104, à seulement 2 km de la formation sanitaire de M'boulou (aujourd'hui près du village "Les Saras" cf http://voyage-congo.over-blog.com/article-mayombe-saras-congo-ocean-116482909.html).
La moitié du contingent fut envoyé au km 104. Mais cela ne fut pas de tout repos... Les ouvriers Chinois firent preuve d'une mauvaise volonté manifeste, d'une "force d'inertie insolente", selon les témoignages de l'époque, et multipliaient les incidents avec l'encadrement. On releva des actes de sabotage...
Si bien que la police fut doublée et les sentinelles reçurent des cartouches !
Au bout de quelques mois, 190 Chinois identifiés comme des "meneurs dangereux" furent rapatirés d'urgence. On craignait l'effet de contagion sur les ouvriers Africains et une révolte dans le Mayombe...
Les photos publiées dans la presse coloniale d'alors ne traduisent pas cette situation tendue. On met en avant la qualité de la prise en charge sanitaire (par exemple la distribution de quinine par un infirmier Européen).
Un an plus tard, c'est un nouveau groupe de 400 Chinois qui fut renvoyé pour "mauvaise volonté incurable" !
C'est donc seulement un petit noyau d'ouvriers Chinois (une centaine) qui entama une troisième année sur le chantier de construction du Congo-Océan.
Les promoteurs de l'utilisation de travailleurs Asiatiques avaient vanté leur rendement supposé supérieur à celui des Noirs. Mais ce ne fut pas le cas, et l'encadrement du chantier du CFCO constata que le rendement d'un Chinois entrainé équivalait tout au plus à celui d'un ouvrier Banda ou Sara.
Ainsi dès la fin 1930, la presse concluait " Cette main d'œuvre [importée de Chine] qui bénéficie de mesure de protections spéciales et reçoit une alimentation abondante et variée, s'est dans l'ensemble fort bien acclimatée au pays. Mais son prix de revient est beaucoup trop élevée pour que cette source de recrutement puisse être continuée, du moins aux mêmes conditions ".
A leur arrivée au Congo, les travailleurs Africains avaient d'abord pris les Chinois pour des Blancs, mais très rapidement, leur comportement et leur réticence au travail leur avaient fait identifier une catégorie différente d'individus.
Un journaliste témoigne : " Groupés sur certains chantiers, sans contact avec les Noirs qui ne les aiment guère et qu'ils méprisent, les Chinois travaillent allègrement. Ils sont en général d'une taille médiocre. Leurs membres grêles, un visage poupin, lisse, des cheveux d'un noir luisant leur composent une silhouette un peu enfantine. Ils sont cependant très résistants, et leurs chefs d'équipe se louent de leur courage au travail.
Il n'en a pas toujours été ainsi. L'expérience chinoise décidée par M. Maginot [alors Ministre des Colonies], pour alléger dans une certaine mesure les charges des populations de l'AEF, commence seulement à donner des résultats satisfaisants ".
Au delà de la propagande coloniale, on comprend à travers les lignes (par la dernière phrase) que l'expérience n'est pas vraiment une réussite...
Rappelons que la plupart des ouvriers Chinois avaient été recrutés de force et que les tâches qu'on leur demandait d'effectuer étaient souvent sans rapport avec leur métier d'origine... On comprend sans peine leur peu d'ardeur au travail, pour des individus transposés à des milliers de kilomètres de leur pays.
Malgré cela, la presse coloniale présente des images presque buccoliques de ces travailleurs Chinois dans le Mayombe.
Photographiés devant des paillotes, chapeaux à la main, l'un d'eux, accroupi, tient un chien. Ils sont pieds nus ou en sandales. Quelques uns esquissent un sourire.
Avait-on choisi les plus dociles pour être sur le cliché ?
Certains présentent des bandages aux jambes. Des traces de blessures liées au travail sur le chantier du chemin de fer ?
Après 1932, seuls 3 ouvriers restèrent au Congo comme "travailleurs libres", soit 0,5 % du contingent.
Sources :
Notes sur la construction du chemin de fer Congo-Océan (1921-1934) - Gilles Sautter - Cahiers d'études africaines, Année 1967, Volume 7, Numéro 26 - p. 219 - 299
Supplément illustré du Courrier Colonial "De Pointe-Noire à Brazzaville" - 30 décembre 1930
La Presse Coloniale Illustrée - n°7 - Juillet 1931