Un rare cliché du cap naturel de Pointe-Noire datant d'avant sa transformation a retenu mon attention. Il s'agit d'une photographie prise ainsi avant les profonds remaniements qui allaient modifier irrémédiablement les contours de la côte Atlantique de la toute jeune cité congolaise.
On y voit un groupe de colons photographiés sur des rochers. Les ombres de l'appareil photographique, qui était alors une boite de taille assez importante, et du photographe planent au premier plan.
En y regardant de plus près, on identfie à gauche trois hommes portant le casque colonial, immanquablement de rigueur à l'époque.
Deux présentent une belle barbe, digne des explorateurs du XIXe siècle, et le troisième, assis un peu plus haut, semble plus jeune et arborre simplement une fine moustache. Et une cigarette à la main.
En arrière plan, la baie de Pointe-Noire étale sa plage (Songolo, la côte Mondaine) et son pourtour alors ourlé d'une dense végétation.
A droite, un quatrième homme est grimpé sur un autre rocher, avec à ses pieds des débris de végétation jetés là par l'océan.
ll est tout de blanc vêtu, le front est masqué par un casque qui tombe jusqu'aux yeux, et il porte une moustache plus fournie.
En arrière plan, on ne voit pas le wharf provisoire de la côte Mondaine censé être là en 1926. Il était assez court et sans doute que sous cet angle de vue, était-il masqué par les rochers.
En effet, la datation du cliché est faite par l'annotation inscrite au verso : " M'Boulou le 14/9/1926 André".
M'Boulou étant l'un des centres importants pour la main d'oeuvre du chantier de construction du chemin de fer Congo-Océan, on peut présumer que ces hommes, ou au moins l'un d'entre eux le signataire prénommé André, travaillaient à la réalisation de la voie ferrée.
M'Boulou deviendra ensuite le village "Les Saras".
André note également : "Roches fétiches où se faisaient les sacrifices humains pour favoriser les pêcheurs de requins".
C'est le première fois que j'entends parler d'une telle pratique. Légende ou réalité ?
Enfin une annotation ajoutée en bas à gauche, qui semble être postérieure et d'une autre main (peut-être celle du destinataire de la carte postale ?), indique "Anciennes roches de Pointe Noire". Le rédacteur est donc bien conscient que ces roches ont été détruites !
Rappelons que ce sont ces rochers noirs qui ont donné son nom au cap naturel, avec le concours de la végétation sombre de palmiers Borassus qui recouvraient alors la "pointe", le fameux "Ponta Negra", ancien point de repère des marins portugais, qui ont été les premiers à parcourir les côtes occidentales de l'Afrique.
http://voyage-congo.over-blog.com/article-les-origines-djindji-pointe-noire-87694337.html
http://voyage-congo.over-blog.com/article-origines-ponta-negra-pointe-noire-cap-87736521.html
http://voyage-congo.over-blog.com/article-origines-ponta-negra-pointe-noire-rocher-87736820.html
Ce cliché n'est pas sans rappeler celui du père Marichelle, pris une vingtaine d'années auparavant, montrant un groupe de sept colons (et leurs deux chiens) grimpés sur la "roche fétiche", et juste à côté, deux hommes Noirs assis sur un rocher plus petit, de forme plus arrondie.
La "roche fétiche" en forme de table inclinée, se situait sur le côté, sur la face Nord du cap naturel si j'ose dire, par rapport au groupe de rochers noirs situés à son extrémité.
Un plan de la ville de Pointe-Noire (vers 1933) confirme cette localisation (Atlas des Colonies Françaises - Société d'Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales - Feuille 3 - Carte n° XXI - G. Grandidier).
Pour guider les bateaux abordant la côte, avant la construction du port, il y avait un feu maritime fixe vers les rochers et bien sûr le phare implanté un peu plus haut.
Localisation des rochers noirs et de la "roche fétiche" (extrait d'un plan de Pointe-Noire vers 1933 - Atlas des Colonies Françaises)
Un cliché plus ancien datant de 1924 montre le cap de Pointe-Noire avec au premier plan des habitations traditionnelles congolaises, celles d'un village de pêcheurs, avec encore quelques palmiers Borassus.
Sur le flanc du cap, on voit la "roche fétiche" (celle photographiée par le père Marichelle), et en arrière plan, le wharf provisoire de la côte Mondaine, nouvellement construit.