Depuis plusieurs jours, je remarque le comportement étrange de "mon" chauffeur. Au lieu de prendre tout droit par la rue Moungali, Ghislain s'évertue à faire le tour du quartier pour me déposer pile poil devant la porte de la clinique. Quand je lui demande pourquoi il fait ce détour, il me répond que c'est pour que je descende du "bon côté". Serais-je dans l'incapacité de traverser la rue ?
Autre fait singulier, il arrête le moteur à chaque fois. Demandant une explication, il me dit que c'est pour déverrouiller la portière. Il suffit pourtant que j'appuie sur un bouton de la portière passager pour pouvoir l'ouvrir. Le Blanc serait-il à ce point paresseux et exigeant pour ne pas être en mesure d'actionner lui-même le déverrouillage ?
Tout cela part d'un bon sentiment, mais je n'ai pas l'habitude d'avoir un "boy" et d'être traité ainsi ! Je n'en veux pas à mon chauffeur, car il est vrai que l'on a conditionné les employés Congolais depuis des décennies à être des serviteurs zélés...
Entre 1880 et 1920, le transport de marchandises effectué à pied par les caravanes qui reliaient Loango à Brazzaville mobilise de nombreux porteurs.
Porteurs de caravane de Loango (et leur enfants) en 1907
Le Blanc se faisait alors souvent véhiculé en tipoye (chaise à porteurs africaine). Exténuante tâche pour les porteurs dont la tête et les épaules sont soumises à rude épreuve.
Femme en tipoye (maison des administrateurs de Loango vers 1910)
Puis un peu plus tard, principalement dans les villes, le pousse-pousse prend le relais. Dans la tête de nos amis congolais, il est donc ancré que le Blanc ne "sait" pas marcher ! Il est vrai que l'homme citadin venu d'Europe aurait beaucoup de mal à suivre certains marcheurs africains habitués à faire des dizaines de kilomètres.
Illustration d'époque, un homme et je présume son épouse, posent, casque colonial sur le crâne, devant la gare fraîchement sortie de terre. La femme est assise dans un pousse-pousse manoeuvré par deux Noirs.
Colons en pousse-pousse devant la gare de Pointe-Noire (vers 1935)
Autre exemple, le célèbre Monseigneur Augouard, premier évêque du Congo. Il était parait-il toujours pressé, si bien que les congolais le surnommèrent "diata diata" (vite, vite !). Sur cette carte postale, les convoyeurs semblent n'être encore que des enfants.
Mgr Augouard (1852-1921) en pousse-pousse à Brazzaville (vers 1910)
Depuis, on est passé au 4x4, mais les mentalités sont un peu restées les mêmes. Le Blanc ne marche pas, ou alors c'est "suspect" (c'est un original ou bien un raté qui n'a pas les moyens...). Par contre, il court, en pratiquant le footing le long de la côte sauvage. Paradoxe...
Pour bien "partager les cordes des pendus" (comme le chantait Brassens), les chefs de village congolais se faisaient eux aussi véhiculés par des porteurs et parfois le dos d'un pauvre boy servait de marche pour descendre du tipoye (cf Album "Dolisie Années 1950").