Je croise ensuite le photographe de plage "Babakila" (Jean-Louis de son prénom), déjà rencontré en janvier. L'infortuné Gildas part vers d'autres occupations ou élucubrations.
Babakila est preneur d'un vieil argentique (même à réparer) ou d'objectifs. Il prend la pose avec le vendeur de biscuits, Francenel (orthographe sous réserve).
Il est bavard le photographe. Nous discutons politique, histoire, religion... Il se félicite de la réélection de Sassou pour la stabilité et le développement du pays. Pendant que nous parlons, un groupe de garçons passe et j'entends le mot "babtou". Je me retourne pour regarder qui parle de moi et signifier que j'ai bien entendu. Un jeune me fait un clin d'oeil et je réponds de même. J'explique au photographe qui n'a pas compris, que "babtou" est le verlan de "toubab", mot employé en Afrique de l'Ouest pour désigner le "Blanc", l'Européen.
Babakila évoque la (re)construction de la route N1 de Pointe-Noire à Brazzaville par les chinois. Il me raconte que dans le massif du Mayombe, dans les marécages une force mystérieuse, une sirène, charme les gens et les fait se noyer dans une source d'eau. Ainsi les chinois auraient fait une cérémonie afin de s'attirer les bonnes grâces de la "sirène" lors de la construction d'un pont enjambant la source et les marécages.
Minute culturelle
La sirène de l'antiquité grecque était une femme à corps d'oiseau. L'une des plus anciennes représentations figure sur un vase antique (Musée du Louvre) contemporain d'Homère. C'est ce type de sirène qui tenta de charmer Ulysse et ses compagnons.
Ce n'est que bien plus tard (au 16 ème siècle) que la sirène médiévale avec un corps de poisson prit définitivement le dessus sur son alter ego aviaire.
Les histoires de sirène sont courantes au Congo. Le terme "mami wata" désigne la sirène qui est, comme en occident aujourd'hui, une femme au corps de poisson. Pour certains, le mot est issu de l'anglais "mamy water" (mère des eaux), pour d'autres il est issu de la culture Vaudou. Il évoquerait alors un interdit sexuel consécutif à la rencontre d'une sirène et serait la contraction d'une phrase signifiant "ferme tes jambes" (en langues Ewe et Fon pratiquées au Bénin, Togo et Ghana). Les légendes africaines relatives aux sirènes existaient pour les peuples côtiers semble t-il avant l'arrivée des européens. Mais il est fort probable que les africains furent influencés dans leurs représentations par les sculptures venues d'Europe (notamment par les figures de proue des navires).
(Source http://www.masque-africain.com/sculptures.html)
Le terme de "sirène" peut prendre au Congo un sens plus large en désignant un animal qui se "métamorphose", un animal fabuleux. C'était le cas des croyances anciennes concernant les tortues marines, capables de passer de la vie aquatique à la vie terrestre.
Mais l'animal le plus proche du mythe des sirènes que l'on trouve au Congo est bien sûr le lamantin (Trichechus manatus ou sur les côtes africaines l'espèce Trichechus senegalensis, présente du Sénégal à l'Angola).
Les siréniens : le lamantin (manatee) et son cousin le dugong (© Encyclopedia Britannica)
Le gros mammifère herbivore (d'où son surnom de "vache de mer") fréquente les eaux littorales peu profondes, comme les embouchures de fleuve et autres marais côtiers, parfois les lacs. On le trouve ainsi dans la lagune de Conkouati.
Son extrémité caudale rappelle la queue des sirènes, même si c'est son cousin le dugong qui en est le plus proche, la nageoire étant divisée en deux.
C'est enfin son cri, comparable à une lamentation, qui alimente la légende du "chant des sirènes"...