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14 janvier 2012 6 14 /01 /janvier /2012 19:30

Un livre publié dans le cadre du Cinquantenaire des Indépendances Africaines a retenu mon attention : "Congo-Océan, de Brazzaville à Pointe-Noire, 1873-1934".

C'est un beau livre, abondamment illustré, dont les auteurs sont un médecin et une pharmacienne, ayant travaillés dans l'humanitaire au Congo. L'ouvrage se veut un hommage aux travailleurs du Chemin de Fer Congo-Océan, notamment à ceux qui ne sont pas revenus vivants de ce difficile chantier. Histoire douloureuse, plusieurs fois évoquée sur mon blog.

 

congo-ocean

Couverture de l'ouvrage publié en 2010 (Editions Frison-Roche)

 

La préface est sous certains aspects un peu douteuse, le Pr Gentilini croit bon d'effectuer un parallèle avec le STO (Service du Travail Obligatoire) et la déportation au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. Etait-ce bien nécessaire d'effectuer une telle comparaison avec une autre période, d'autres lieux et un autre contexte ? La description du Travail Forcé alors en vigueur dans toutes les Colonies, et ce jusqu'en 1946, se suffit à elle-même. Le récit du recrutement plus ou moins contraint d'ouvriers, bien au-delà des frontières du Congo, et ses conséquences désastreuses sur les populations indigènes, est assez démonstratif.

L'avant-propos de Jacques Toubon évoque le nécessaire éclairage sur l'histoire coloniale de la France, sans vision manichéenne, "une histoire vraie avec ses heures glorieuses et ses heures honteuses". Cinquante ans après la décolonisation, il est temps de faire la part des choses et de lever les tabous !

 

L'ouvrage est bien construit. La première partie du livre restitue le contexte historique de la Colonisation, la découverte du Congo, l'épopée des grands explorateurs de la fin du XIXème siècle. La deuxième partie détaille les différents projets de tracés du chemin de fer et les difficultés de mise en oeuvre dans une A.E.F très peu développée. La troisième partie fait la part belle au chantier du CFCO, notamment aux difficiles travaux dans le Mayombe, le percement du tunnel du Mont Bamba. La quatrième partie fait une synthèse, dresse le terrible bilan de 16 à 20 000 morts, mis en balance de l'apport évident d'une telle infrastructure pour le pays. La complexité de l'Histoire et aussi des rapports humains dans le contexte colonial est enfin abordée.

 

L'abondance des "illustrations de l'époque" est mise en exergue en quatrième de couverture et il est souligné par ailleurs que les auteurs du livre ne sont pas des historiens. Malheureusement, c'est là où ça coince... Je me vois contraint de souligner des inexactitudes ou erreurs, volontaires ou non. La volonté d'illustrer à tout prix les faits évoqués a t-elle conduit à abuser des documents ? Les auteurs ont-ils été "trompés" par leurs documentalistes ?

En effet, certaines photographies ne sont pas en rapport avec la légende de l'ouvrage et sont parfois postérieures à l'époque évoquée. Je vais prendre quelques exemples : 

 

- page 66 : la légende indique "A la sortie du Mayombe, du côté de Brazzaville, le paysage devient moins tourmenté et la ligne traverse alors les derniers contreforts du massif, au milieu des collines faiblement boisées et coupées de vallées peu encaissées".

 

kouilou-barrage-congo

Vue des gorges du Kouilou à l'emplacement du futur barrage hydraulique (1956 © CAOM)

 

Le problème est que la première photo en haut de la page ne correspond pas du tout à cela. Il ne s'agit pas des "derniers contreforts" du massif du Mayombe, mais des gorges du Kouilou (les gorges de Sounda vues de la route de Kakamoéka, l'archive de 1956 évoque le projet de barrage). Bien loin de l'approche de Brazzaville...

 

- page 94 : alors que l'on évoque les débuts très difficiles du chantier dans le Mayombe, la photo en bas à droite est censée représenter une "Visite médicale à Brazzaville. Dans les centres de rassemblement puis au cours du trajet et enfin à leur arrivée sur les chantiers, tous les travailleurs étaient soumis à un examen médical...". 

 

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Brazzaville. Institut Pasteur. Ponction lombaire (1945 © CAOM - Carmet Robert)

 

Le problème est que le cliché est de onze ans postérieur à la fin des travaux (1945 versus 1934) et correspond à une ponction lombaire effectuée à l'Institut Pasteur de Brazzaville. Qui peut croire que les travailleurs recrutés subissaient, au début des années 1920, une ponction lombaire avant d'aller sur les chantiers ? Cette illustration et cette légende peuvent induire en erreur le lecteur. L'examen médical était beaucoup plus sommaire, mesure du poids et de la taille, examen de l'état général (âge apparent, état de la peau, robustesse, recherche d'hernie et palpation des ganglions...).

 

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Mavouadi sur le Chemin de Fer - Saras malades (carte postale vers 1925 - © Marichelle)

 

Le cliché de Brazzaville donne l'illusion de locaux propres et modernes. La réalité est sans doute plus proche de la photo ci-dessus, où l'on voit des ouvriers Saras malades accueillis à Mavouadi.

J'avais déjà publié d'autres clichés de travailleurs Sara sur le chantier du Mayombe datant de 1924 (cf  Terre d'ébène : le chantier du CFCO (2)).

 

- page 133 : on retrouve l'image de couverture, légendée "Portrait d'un travailleur Sara. Cette population originaire du Tchad fut lourdement mise à contribution pour la construction du Congo-Océan...". L'orientation de l'image est ici conforme au cliché original (détail diront certains...).

 

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Tirailleur Sara - Brazzaville - 1942-43 (© CAOM - Ellebé ou Jean Costa)

 

Le problème est qu'il ne s'agit pas d'un travailleur du CFCO, mais d'un tirailleur Sara du Bataillon de tirailleurs du Moyen-Congo. Le cliché du Service Information des Forces Françaises Libres est ainsi sans lien avec le sujet évoqué et date de 8 ou 9 ans après la fin du chantier !

Cela jette le trouble, car cette photographie sert de couverture à l'ouvrage... Il est vrai que ce fier tirailleur Sara, torse bombé, menton levé, visage scarifié, photographié en contre-plongée, constitue une excellente illustration. Au détriment de la vérité historique.

 

Quelques clichés plus "réalistes" des ouvriers du CFCO auxquels l'ouvrage voulaient rendre hommage sont quand même présents pages 95 et 108. Ils sont malades et d'une maigreur effrayante, en cohérence avec la forte mortalité des premières années du chantier dans le Mayombe. Il est vrai que ce type de photo ne serait guère "vendeur" en couverture...


J'en ai trouvé une autre qui n'a pas été publiée par les auteurs. J'ai hésité à le faire sur mon blog, de la part la nudité des ouvriers (nudité forcée peut-être, si on en juge par le vêtement présent à leurs pieds) et le côté morbide de la photographie. Ces ouvriers malingres ont l'air d'être à peine sortis de l'enfance... La pose est quant à elle bien organisée, on aperçoit ainsi les rails derrière eux.

 

ouvriers-noirs-batignolles-cfco

Ouvriers Noirs employés sur le chantier du CFCO vers 1925

(89 AQ 1000 © Archives Nationales du Monde du Travail)    

 

Mais le contraste avec la "belle couverture" n'en est que plus frappant. Malheureusement, si on veut rendre hommage aux 16 à 20 000 morts de la construction du CFCO, il faut aussi le faire en affrontant la réalité, aussi triste soit-elle. Le souhait exprimé par Jacques Toubon dans l'avant-propos n'est donc pas tout à fait exaucé.

 

Il y a d'autres utilisations abusives d'images que ces trois là qui me sont apparues rapidement. Je ne les ai pas toutes recensées mais cela discrédite le sérieux du livre. Autre exemple, page 122, on présente un service sanitaire censé intervenir sur les chantiers du CFCO. Or il s'agit d'un cliché de 1947 ! La vraie origine du cliché, c'est une équipe de prospection du SGHMP (Service Général d'Hygiène Mobile et de Prophylaxie) de l'AEF, un service fondé par un arrêté datant seulement de 1945. On identifie d'ailleurs le sigle de ce service sur la portière du véhicule...

Un fait est passé sous silence, la présence de travailleurs Chinois (citée une seule fois page 124). Même si ce n'est pas l'essentiel du problème, le seul fait d'avoir fait appel à des ouvriers venant de l'autre bout du monde est révélateur des problèmes de recrutement de main d'œuvre pour le chantier du Chemin de Fer Congo-Océan (voir à ce sujet Le petit cimetière : le carré Chinois... CFCO ! ).

 

En résumé, ce livre est intéressant, et les intentions des auteurs sont louables. Mais s'il satisfaira le néophyte, sa vision un peu "romantique" et son manque de rigueur historique, ses approximations volontaires ou non, laisseront un goût un peu amer au lecteur plus averti.

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30 décembre 2011 5 30 /12 /décembre /2011 21:00

D'autres masques de styles différents sont entrés dans ma "collection". Vu leur petite taille, ils n'étaient bien sûr pas portés par des êtres humains.

 

Serge m'a ainsi vendu un masque Songye-Luba de forme circulaire. Il est orné de traits en arcs de cercle et recouvert d'un pigment blanchâtre. Il possède une bouche caractéristique avec une croix et une sorte de "crête" séparant le front, issue d'un nez aplati.

 

petit-masque songye-luba

Masque Luba (bois, pigment blanc, 12 cm)

 

Semblant mi-humaine, mi-animale, la figure dégage pour moi une impression de rudesse. Le verso est délicatement poli. Ce type de masque rond serait associé chez les Luba à des rites de guérison. La fonction de ces masques Luba serait donc bienfaisante, la blancheur des lignes étant associée à des caractères positifs (lumière, pureté, bonté, lait maternel...).

  

petit-masque-songye-luba-dos

Verso du masque Luba

 

Un autre petit masque Songye, toujours rayé de traits rectilignes ou courbes, parait plus "joyeux". Certains vous diraient qu'il évoque un gâteau apéritif qui finit par "munch" !!

 

petit-masque-songye-rayé

Masque Songye (bois, pigments blanc, noir et rouge, 19 cm)

 

Le visage a la bouche grande ouverte, les yeux, le nez, la bouche sont colorés en noir, avec un liseré rouge. Le nez se prolonge encore en "crête", un peu comme les casques du moyen-âge. Il paraît que cela symbolise, avec la couleur noire, le caractère masculin du masque.

 

petit-masque-songyé-dos

Verso du masque Songye

 

Certains de ces masques miniatures constituaient la tête de statues cultuelles. Un visage démontable en quelque sorte ! L'ethnie Songye est du centre et les voisins Luba du sud-est de la RDC. Les masques rayés de ces ethnies sont qualifiés de masques Kifwebe.


Un dernier petit masque est original car il possède le bec d'un oiseau. C'est le seul que j'ai vu au Congo et je ne connais pas son origine.

Il est en grande partie blanc et cérusé. Le bec et les sourcils sont pigmentés en noir et les joues sont étonnamment ornées d'une croix violacée.

 

masque-oiseau-lulua

Masque "oiseau" (bois, pigments blanc et noir, 20 cm avec le bec)

 

Le vendeur a évoqué un "esprit protecteur des jumeaux", mais je pense que l'information n'est pas fiable...

 

masque-oiseau-lulua-front

Dessus du masque "oiseau"

 

La chimère mi-humaine, mi-oiseau possède donc un bec et aussi des cheveux. La glabelle est ornée d'un signe en V. Quelle ethnie a pu produire ce masque miniature singulier ?? Mystère...

Une lectrice m'a indiqué que le masque lui faisait penser au Mboulikoko (ou Mbulukoko), autrement dit au Touraco, dont plusieurs espèces vivent en Afrique Centrale.

 

Source :

http://detoursdesmondes.typepad.com   

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