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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 09:00

Nous arrivons enfin au petit village perdu au bout de sa piste étroite. Après avoir parcouru quelques courbes entre les cases, en évitant d'écraser quelques poules, nous stoppons notre véhicule juste à côté de la gare de Favre. 

 

moubotsi-gare-favre-congo

Gare de Favre à Moubotsi 

 

Je salue le chef de gare, qui ne porte pas d'uniforme particulier mais un survêtement rouge. Il est uniquement reconnaissable par son sifflet autour du cou. Sur le modeste quai, des bananes et des paquets de manioc sont prêts à embarquer dans le prochain train. Une femme est assise devant sa bassine remplie d'oranges vertes.

 

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Chemin de fer Congo-Océan. Train en gare de Goma-Biélo. Décembre 1932 (© CAOM)

 

Je traverse les voies pour avoir une vue d'ensemble du bâtiment. Il est somme toute modeste à l'instar des autres gares secondaires du réseau CFCO. Une petite tour à l'arrière de la construction donne quand même un certain cachet à la gare. Les gares de "troisième classe" du CFCO étaient quasiment toutes construites sur le même modèle, comme celle de la photo ci-dessus.

 

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Cases CFCO face à la gare de Favre

 

De l'autre côté des voies, on remarque 4 constructions identiques. Ce sont des "cases CFCO" destinées je présume à héberger les employés de l'époque. Tous ces bâtiments ont environ 80 ans, car ils datent de la construction de la ligne. Si la gare est relativement en bon état, les cases CFCO sont un peu fatiguées. 

 

moubotsi-gare-favre-rails

Voie ferrée devant la gare de Favre à Moubotsi

 

Notre arrivée ne passe pas inaperçue et nous saluons les gens que nous croisons ou ceux dispersés ça et là sous les grands arbres. Nous commençons à cheminer sur les voies. L'endroit est très paisible. Juste à côté de la gare, entre des cases à moitié détruites, se tient un petit marché, près d'un camion bleu bâché. Nous demandons à un passant où se trouve le "monument". Il nous répond qu'il se situe après la courbe, nous sommes partis dans la bonne direction !

 

Mais on peut se demander d'où vient le nom de cette gare, sonnant à notre oreille comme un patronyme typiquement français... Une histoire tragique en est à l'origine.

 

L'assassinat de Favre

 

Comme d'autres gares, celle-ci porte le nom d'un français mort au cours de la construction du CFCO entre 1921 et 1934. Le village situé autour a porté pendant quelques temps ce même nom "Favre", puis a retrouvé sa dénomination d'origine (Moubotsi).

Le Lieutenant Favre était un médecin affecté dans le Mayombe (il fut nommé Capitaine à titre posthume). Il est difficile de trouver des informations sur les circonstances de son décès. On ne trouve pas de photo de lui, ni même... son prénom.

 

La seule source d'information, mais de premier choix, est le témoignage de Michel Romano dans son livre de souvenirs. Il nous relate que le Docteur Favre travaillait à la "formation sanitaire de M'boulou", en remplacement du Dr Jeansotte parti en congé.

  

mayombe-campement-cfco-km109

Campement des travailleurs, km 109,6 (Congo-Océan, carte postale vers 1930)

 

Il ne faut bien sûr pas s'imaginer un hôpital "en dur", mais plutôt une construction dans le style des cases ci-dessus. Le lieu d'implantation de la "formation sanitaire de M'boulou" correspond au km 102, aujourd'hui aux environs du village Les Saras (cf  Mayombe : Mboulou, Les Saras et le Congo-Océan).

Nous sommes en août 1929, le Docteur Favre était à la tâche dans son "hôpital" en train de soigner deux ou trois ouvriers du chantier du Congo-Océan, des Saras de type "Banana".

Romano relate : "J'étais en train de parler avec des militaires, quand nous entendîmes un cri épouvantable. Favre venait d'être assassiné. Il auscultait un Banana lorsqu'un de ses camarades écarta brusquement la couverture dont il s'était entouré et sortit un couteau. L'infirmier N'Sitou, un Bayombi, se précipite sur lui et attrape le couteau par la lame ; il se blesse et lâche le couteau. Les cris des autres malades font retourner le docteur Favre et le Banana lui enfonce aussitôt le couteau en plein coeur. Il mourut presque immédiatement". 

Le jeune homme n'avait que 27 ans et plus que trois mois à effectuer au Congo, après trois longues années d'exercice médical difficile, à une période où "les médicaments et le ravitaillement arrivaient très irrégulièrement et où il fallait se débrouiller avec des moyens de fortune".

 

saras banana-tchad 

Groupe de Saras "banana" (carte postale vers 1930)

 

Le coup de folie de l'ouvrier s'explique sans doute par le déracinement brutal de sa région d'origine (Tchad, région de Laï) et par la dureté du travail. L'équipe de Bananas fraichement recrutée était affectée au tunnel du Mont Bamba, "dernière ligne de crête du Mayombe très malsaine et humide" dixit Romano, "Les indigènes, aussi bien que les Européens, s'y acclimataient très difficilement". Deux Bananas venaient de mourir de maladie...

 

L'assassin du Docteur Favre faillit être lynché sur place... Sauvé par le Chef de Service de la main d'oeuvre (M. de Poyen de Belle-Isle), il fut ensuite transféré et emprisonné à Brazzaville. Après plusieurs mois de détention sans jugement, le sort qui lui fut réservé ne fut pas meilleur... On lui fit le "coup de l'évasion". Un membre de la Mission d'Etudes (Romano tait son nom...) proposa au chef de la prison d'aller boire un verre dans un bistrot situé à proximité. Pendant son absence, il ouvrit la porte de la cellule du Banana. "Le Banana, voyant la porte ouverte, sort et est aussitôt abattu d'un coup de revolver : tentative d'évasion". Ou plutôt exécution sommaire, suite au piège tendu à l'infortuné prisonnier ! L'Européen coupable de cette sinistre manoeuvre passa en justice, mais fut acquitté.


Sombre histoire que ce double assassinat, dont la gare de Favre porte la mémoire ! 

 

Source principale : L'aventure de l'Or et du Congo-Océan - Michel R.O. Manot - Librairie Secratan - 1946

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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 08:00

Nous empruntons de nouveau une Nationale 1 à quatre voies. Elle coupe les flancs des collines, comme dans le Mayombe. Nous y croisons des grumiers transportant de beaux spécimens d'arbres de la forêt équatoriale.

 

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Grumier croisé à la sortie de Dolisie

 

Mais la route bitumée ne dure pas longtemps. Nous tombons rapidement sur des chantiers, des contournements de route et des ouvrages d'art en devenir. Comme il y a deux ans dans le Mayombe ! Avec un relief plus apaisé bien sûr.

 

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Nationale 1 après Dolisie

 

La piste de terre ocre "à l'ancienne", bordée de hautes herbes, remplace la bande d'asphalte. C'est la première fois que je dépasse Dolisie par la route. 

 

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Collines de la plaine du Niari 

 

Après une quinzaine de kilomètres de piste, nous tournons à gauche, en reculant, car nous avons raté la petite pancarte qui nous indique la direction du village de Moubotsi, où se situe la gare "historique" de Favre.

 

niari-piste-moubotsi

Piste menant à Moubotsi (gare de Favre)

 

La piste devient très étroite et caillouteuse. Par endroit, elle est bordée de belles collines parsemées de rochers et seulement couvertes de maigres arbustes. Je retrouve le petit fruit rond que j'avais observé l'an dernier près des chutes de la Loufoulakari (cf Chutes de la Loufoulakari : sur le départ... ). Mais cette fois, il est gris, sans doute parce qu'il n'est pas mûr.

 

niari-piste-moubotsi-fruit

Fruit sur un arbuste

 

Sous un ciel chargé, la route nous parait bien longue... Il n'y a pourtant que 7 km à parcourir. On s'habitue vite au confort des routes bitumées !

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