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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 16:30

Les Saras sont originaires du bassin de la rivière Chari, cours d'eau qui avait donné son nom à la colonie d'Oubangui-Chari (actuelle République Centrafricaine), bien sûr avec l'Oubangui qui passe plus au sud, à Bangui, la capitale.

 

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Carte du bassin versant du Chari (© Kmusser - Wikipedia)

 

Le bassin du Chari et les populations qui y vivent sont à cheval sur le Tchad et la Centrafrique. La ville centrale étant à l'époque coloniale Fort Archambault (actuelle Sahr).

 

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Bahr Sara (Ouham) affluent du Chari (carte postale vers 1920 - © Bruel)    

 

C'est une zone fortement irriguée qui alimente de ses eaux le lac Tchad, avec l'autre cours d'eau majeur, le Logone. La navigation est toutefois difficile à la saison sèche où le débit des rivières chute fortement.

 

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Tchad- Homme Sara Kaba (carte postale vers 1930)

 

C'est dans cette région que l'on recruta à compter de 1925 des milliers de travailleurs pour les chantiers du chemin de fer Congo-Océan, entre Brazzaville et Pointe-Noire. Au fil des ans, il s'agissait de travail forcé, puis de volontaires. 

Les zones principales de recrutement furent le Moyen-Chari (15 000 travailleurs), le Moyen-Logone (8 800 travailleurs), et Ouham (4 100 personnes). Les recrues devaient parcourir plus de 1500 km pour rejoindre leur destination, ce qui était un sacré voyage à l'époque.

  

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Origine des travailleurs envoyés sur les chantiers du Congo-Océan (Extrait © Sautter - 1967)

 

Il fallait rejoindre Bangui par voie terrestre, descendre l'Oubangui puis le fleuve Congo jusqu'à Brazzaville, et enfin atteindre les chantiers jusqu'au coeur du Mayombe. Plusieurs semaines, voire plusieurs mois de voyage étaient nécessaires. Les convois effectuaient de 20 à 30 étapes avant d'arriver à destination.

Le nombre d'inaptes augmentait au fil des étapes. Fatigue, sous-alimentation, maladies, conditions de transport déplorables (surtout les quatre premières années) furent à l'origine de nombreux décès lors du voyage.

Le transport des recrues débuta sans qu'aucun aménagement ne soit fait : "pêle-mêle avec le fret, [les hommes furent] entassés sans abris, exposés à la pluie, au soleil, aux nombreuses escarbilles que donne le chauffage au bois [...] n'ayant de place ni pour se reposer, ni pour faire leurs besoins, ni pour préparer la cuisine" (Source : Mission Lasnet - 1928 - Inspection sanitaire des chantiers du CFCO).

Bref, des conditions de transport proches de celles du bétail !


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AEF - Hommes Saras (carte postale vers 1950 - Ed. Pauleau)

 

Les Saras étaient d'une stature plus imposante que celle des ouvriers d'origine congolaise. Plus grands et plus puissants, ces agriculteurs devaient séduire par leur potentiel, les recruteurs du CFCO !

Ce que cyniquement certains appelaient le "moteur à bananes", expression rapportée par Albert Londres. Tout simplement pour symboliser l'absence de mécanisation et de moteur sur les chantiers. L'homme remplaçait la machine... quitte à mourir en grand nombre.


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Tchad - femme Sara (carte postale vers 1950)

 

La dénomination générique "Saras" a été donnée par les français à ces populations de l'extrême sud de la république du Tchad, le Logone occidental, le Logone oriental et le Moyen-Chari, et du nord de la Centrafrique.

 

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Visages scarifiés de jeunes Saras (carte postale vers 1930)

 

Cette appellation regroupe une variété de populations aux moeurs souvent différentes, bien que partageant semble t-il les mêmes origines ancestrales. Un peuple venu de la vallée du Nil aurait migré vers le Tchad au XVIème siècle. La langue parlée par les Saras fait partie des langues "nilo-sahariennes", contrairement à celles des peuples Bantous implantés plus au sud.

Certains Saras pratiquaient la scarification faciale et d'autres pas. On trouve de nombreuses photos d'hommes scarifiés, mais si j'en crois ce cliché rapporté par Marc Allégret (compagnon de voyage d'André Gide lors de son célèbre "voyage au Congo"), des femmes aussi avaient le visage scarifié.

 

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Tchad - Fort Archambault (Sahr), Vieil homme et jeune femme - 1925-26 (Marc Allégret © RMN)

 

Mais ce qui a impressionné le plus les voyageurs occidentaux, ce sont les femmes à plateaux. En effet, les Saras "Kya-Be" portaient dans la lèvre inférieure, parfois dans les deux lèvres, un plateau d'argile, dont on augmentait la taille au fur et à mesure. Le trou s'élargissait...

 

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Femme à plateaux - Kya-Be, Moyen-Chari (carte postale vers 1930)

 

Les vieilles femmes portaient donc les plus grands plateaux ! Ce qui peut paraître assez handicapant au quotidien, et peu ragoûtant quand le plateau est enlevé, et que la lèvre distendue pend.

Certains pensent que c'était un moyen de se défigurer, pour échapper au razzia des Arabes venus du nord, à la recherche d'esclaves. D'autres considèrent simplement qu'il s'agit de critères esthétiques. L'appréciation de la beauté varie d'une culture à l'autre, et ne se discute pas !


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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 16:25

Avant de quitter ce village, évoquons le chantier et les hommes qui ont donné leur nom à ce bourg du Mayombe, bien loin de leur terre natale.

Le nom initial du village était Mboulou (Mbulu), peut-être à cause des chiens sauvages que l'on pouvait autrefois y trouver, car ce mot signifie "chacal" en Vili. Ou d'une légende attachée à cet animal en ces lieux ?

Le chacal à flancs rayés (Canis adustus), dernier chien sauvage du Congo, préfère cependant les savanes. Menacé d'extinction, c'est une espèce protégée.

 

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Le chemin de fer Congo-Océan (© Encyclopédie mensuelle d'Outre-Mer - 1954)

 

Comme on peut le voir sur la carte ci-dessus, le village "Les Saras" est situé en plein coeur du Mayombe. La gare est située au km 100 (cf Mayombe : Les Saras, la gare ) par rapport à Pointe-Noire et le camp de travailleurs du chemin de fer Congo-Océan se situait au km 102.

 

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Tunnel CFCO au km 100,9 (© CAOM - Décembre 1932)

 

On fit venir au fil des ans des milliers d'hommes dans cette zone, car la traversée du massif du Mayombe constituait la difficulté majeure du tracé. A partir du km 60 et jusqu'au km 150, il fallait affronter les marécages de la Loémé puis le relief accidenté du massif forestier, particulièrement entre les km 97 et 143. Cette seule portion du CFCO, d'une cinquantaine de kilomètres, nécessita trente-six viaducs, soixante-treize ponts secondaires, douze grands murs de soutènement et dix tunnels, totalisant 3 km de longueur. Quel chantier d'envergure !

Si techniquement rien ne semblait insurmontable aux ingénieurs, il fallait une main d'œuvre nombreuse. La très faible densité de population de la région, entre autre, obligea à recruter des ouvriers dans d'autres contrées de l'AEF.

Ce fut le cas des populations Saras originaires de l'Oubangui-Chari (Centrafrique) et du sud du Tchad (cf Les Saras : origine et recrutement ).

 

saras-mavouadi-paye-cfco

Les Saras recoivent leur paye à Mavouadi (carte postale vers 1925 - © Marichelle)

 

On trouvait plusieurs campements le long du chantier, où étaient regroupés les travailleurs, dont un à Mavouadi, vers le km 72. La section de Mavouadi correspondait à la partie du chantier comprise entre les km 52 et 80 (à ne pas confondre avec le Mavouadi de la région du Niari, au nord de Mossendjo). On installait dans le camp une "formation sanitaire" qui permettait de regrouper les malades, à l'époque nombreux (cf Lecture : "Congo-Océan" de Brazzaville à Pointe-Noire... ).


Il en était de même au "km 102". C'est d'ailleurs à la formation sanitaire de M'boulou que périt le Dr Favre (cf Moubotsi : la gare de Favre) en 1929. La gare qui porte son nom est ainsi assez éloignée de son lieu de décès.

 

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Mboulou - le camp du km 102 en 1927 (© Michel Romano)

 

Difficile de s'imaginer les rudes conditions de vie dans un environnement assez hostile, d'autant plus pour une population habituée à un autre climat. On trouve cependant quelques documents qui permettent d'illustrer cette époque.

J'avais trouvé deux clichés montrant des ouvriers Saras dans le Mayombe, mais ils n'étaient pas précisément localisés (cf Terre d'ébène : le chantier du CFCO (2)). 

Le km 102 se situait en pleine forêt humide, comme le montre le cliché ci-dessus. De simples cases en "matériau local" abritaient les ouvriers africains, comme les colons.

Pour de multiples raisons (mauvaises conditions de transport, difficultés d'approvisionnement en vivres, maladies tropicales, climat malsain, dépaysement des populations transplantées, absence de mécanisation sur les chantiers...), les premières années de travaux dans le Mayombe furent très meurtrières.

Les décès constatés représentaient 20 à 30% des effectifs des recrues de l'année, entre 1925 et 1928 !

 

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Tranchée du chemin de fer Congo-Océan au km 106 (carte postale vers 1930 - Ed. Pacalet)

 

On améliora à tous les niveaux les conditions de vie des ouvriers et la mortalité baissa, pour osciller entre 13 et 9 % pour la période 1929-1932.


Mais cela ne semblait pas plaire à tout le monde, comme le montre le texte écrit au verso de la carte postale ci-dessus, montrant le km 106, à proximité immédiate du village Les Saras.

Le colon français, visiblement un commerçant, se plaint de ne plus pouvoir vendre ses vêtements d'occasion : "Ces messieurs, avec les ordres que l'on reçoit de Paris, touchent des soldes magnifiques qui leur permettent, outre de se saouler comme des grives, d'acheter tout ce qu'ils désirent, mais neuf. Et comme les marchandises affluent de France, ils gaspillent leur argent à acheter un tas de saletés... En ce moment, les casques ne se vendent plus parce que la mode est au chapeau mou, arrivé dans les boutiques en quantité industrielle. On n'arrive même plus à vendre les vieux costumes. Ce n'est pas assez chic... Vous vous rendez compte où nous en sommes arrivés. Une gifle à ces messieurs vous conduit au Tribunal." De même pour "un travailleur du Congo en train de pisser dans un magasin sur un sac de riz" !

 

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Mayombe - km 112 - Saras jouant du Tam-Tam (© Michel Romano)

 

On trouve quelques images plus joyeuses de Saras dans le Mayombe, que celles des ouvriers malades et faméliques. Notamment celles prises de son équipe par Michel Romanoau km 102 ou à son campement du km 112, lors de moments de repos. La fête, avec la danse au son du tam-tam, en fait partie.

 

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Femme Sara coiffant son mari - Camp du km 112 (© Michel Romano)

 

On découvre aussi, fait peu évoqué, que les femmes accompagnaient parfois leurs maris dans les campements. L'une d'elles peut ainsi coiffer tranquillement son homme, pour qu'il continue de porter sa petite houppette !


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Femmes au bain au km 102 (© Michel Romano)

 

Ces femmes originellement très peu vêtues permettaient aussi au colon de se rincer l'oeil... par exemple lors du bain dans un marigot du Mayombe.

 

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Visage d'un travailleur Sara - Pointe-Noire (© CAOM - décembre 1932)

 

Certains Saras arboraient des scarifications faciales (cf Les Saras : origine et recrutement ), souvent discrètes, parfois très impressionnantes comme le jeune homme ci-dessus. En effet, un défaut de cicatrisation peut entraîner la formation de chéloïdes, excroissances du derme se formant sur une blessure guérie.

On aperçoit la voie ferrée en arrière plan du cliché.

 

C'est en tout cas en hommage aux nombreux morts d'origine Sara (plusieurs milliers à n'en pas douter) que l'on donna son nom à la gare CFCO, et par extension au village qui se constitua autour.

 

Sources principales : 

L'aventure de l'or et du Congo-Océan - Michel R.O. Manot - Ed. Secretan - 1946

Notes sur la construction du chemin de fer Congo-Océan (1921-1934) - Gilles Sautter - Cahiers d'études africaines, Année 1967, Volume 7, Numéro 26

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