Les Saras sont originaires du bassin de la rivière Chari, cours d'eau qui avait donné son nom à la colonie d'Oubangui-Chari (actuelle République Centrafricaine), bien sûr avec l'Oubangui qui passe plus au sud, à Bangui, la capitale.
Carte du bassin versant du Chari (© Kmusser - Wikipedia)
Le bassin du Chari et les populations qui y vivent sont à cheval sur le Tchad et la Centrafrique. La ville centrale étant à l'époque coloniale Fort Archambault (actuelle Sahr).
Bahr Sara (Ouham) affluent du Chari (carte postale vers 1920 - © Bruel)
C'est une zone fortement irriguée qui alimente de ses eaux le lac Tchad, avec l'autre cours d'eau majeur, le Logone. La navigation est toutefois difficile à la saison sèche où le débit des rivières chute fortement.
Tchad- Homme Sara Kaba (carte postale vers 1930)
C'est dans cette région que l'on recruta à compter de 1925 des milliers de travailleurs pour les chantiers du chemin de fer Congo-Océan, entre Brazzaville et Pointe-Noire. Au fil des ans, il s'agissait de travail forcé, puis de volontaires.
Les zones principales de recrutement furent le Moyen-Chari (15 000 travailleurs), le Moyen-Logone (8 800 travailleurs), et Ouham (4 100 personnes). Les recrues devaient parcourir plus de 1500 km pour rejoindre leur destination, ce qui était un sacré voyage à l'époque.
Origine des travailleurs envoyés sur les chantiers du Congo-Océan (Extrait © Sautter - 1967)
Il fallait rejoindre Bangui par voie terrestre, descendre l'Oubangui puis le fleuve Congo jusqu'à Brazzaville, et enfin atteindre les chantiers jusqu'au coeur du Mayombe. Plusieurs semaines, voire plusieurs mois de voyage étaient nécessaires. Les convois effectuaient de 20 à 30 étapes avant d'arriver à destination.
Le nombre d'inaptes augmentait au fil des étapes. Fatigue, sous-alimentation, maladies, conditions de transport déplorables (surtout les quatre premières années) furent à l'origine de nombreux décès lors du voyage.
Le transport des recrues débuta sans qu'aucun aménagement ne soit fait : "pêle-mêle avec le fret, [les hommes furent] entassés sans abris, exposés à la pluie, au soleil, aux nombreuses escarbilles que donne le chauffage au bois [...] n'ayant de place ni pour se reposer, ni pour faire leurs besoins, ni pour préparer la cuisine" (Source : Mission Lasnet - 1928 - Inspection sanitaire des chantiers du CFCO).
Bref, des conditions de transport proches de celles du bétail !
AEF - Hommes Saras (carte postale vers 1950 - Ed. Pauleau)
Les Saras étaient d'une stature plus imposante que celle des ouvriers d'origine congolaise. Plus grands et plus puissants, ces agriculteurs devaient séduire par leur potentiel, les recruteurs du CFCO !
Ce que cyniquement certains appelaient le "moteur à bananes", expression rapportée par Albert Londres. Tout simplement pour symboliser l'absence de mécanisation et de moteur sur les chantiers. L'homme remplaçait la machine... quitte à mourir en grand nombre.
Tchad - femme Sara (carte postale vers 1950)
La dénomination générique "Saras" a été donnée par les français à ces populations de l'extrême sud de la république du Tchad, le Logone occidental, le Logone oriental et le Moyen-Chari, et du nord de la Centrafrique.
Visages scarifiés de jeunes Saras (carte postale vers 1930)
Cette appellation regroupe une variété de populations aux moeurs souvent différentes, bien que partageant semble t-il les mêmes origines ancestrales. Un peuple venu de la vallée du Nil aurait migré vers le Tchad au XVIème siècle. La langue parlée par les Saras fait partie des langues "nilo-sahariennes", contrairement à celles des peuples Bantous implantés plus au sud.
Certains Saras pratiquaient la scarification faciale et d'autres pas. On trouve de nombreuses photos d'hommes scarifiés, mais si j'en crois ce cliché rapporté par Marc Allégret (compagnon de voyage d'André Gide lors de son célèbre "voyage au Congo"), des femmes aussi avaient le visage scarifié.
Tchad - Fort Archambault (Sahr), Vieil homme et jeune femme - 1925-26 (Marc Allégret © RMN)
Mais ce qui a impressionné le plus les voyageurs occidentaux, ce sont les femmes à plateaux. En effet, les Saras "Kya-Be" portaient dans la lèvre inférieure, parfois dans les deux lèvres, un plateau d'argile, dont on augmentait la taille au fur et à mesure. Le trou s'élargissait...
Femme à plateaux - Kya-Be, Moyen-Chari (carte postale vers 1930)
Les vieilles femmes portaient donc les plus grands plateaux ! Ce qui peut paraître assez handicapant au quotidien, et peu ragoûtant quand le plateau est enlevé, et que la lèvre distendue pend.
Certains pensent que c'était un moyen de se défigurer, pour échapper au razzia des Arabes venus du nord, à la recherche d'esclaves. D'autres considèrent simplement qu'il s'agit de critères esthétiques. L'appréciation de la beauté varie d'une culture à l'autre, et ne se discute pas !